Le jardin d'Écume
Il était une fois, dans un royaume silencieux que nul ne pouvait voir, un petit être nommé Lysandre. Il n’habitait ni forêt, ni montagne, ni village : il vivait à l’intérieur d’un cœur.
Ce cœur appartenait à un humain du monde d’en haut, un être nommé Clara. Elle marchait dans les rues, parlait aux gens, riait parfois, pleurait souvent. Mais ce qu’elle ignorait, c’est que tout un univers palpitait en elle — un monde de pensées, de souvenirs, de désirs inavoués, de rêves suspendus — et en son centre, veillait Lysandre.
Chaque jour, Lysandre cultivait un jardin. Pas un jardin de fleurs ordinaires, non. Ici poussaient les Éphémères, des pensées volatiles, lumineuses comme des lucioles ; les Ronces-Muettes, nées de peurs non dites ; les Fougères-Rêves, qui s’ouvraient seulement la nuit ; et surtout, l’arbre ancien, le Murmure, dont les racines plongeaient jusqu’au plus profond de Clara.
Lysandre connaissait chaque recoin du jardin. Quand Clara riait, une pluie de pollen doré tombait sur les pétales. Quand elle doutait, le vent se levait, déracinant parfois une Éphémère. Et quand elle s’abandonnait à la tristesse, le ciel du royaume virait au gris perle, et le Murmure frémissait.
Un jour, un silence lourd s’abattit. Ni vent, ni lumière, ni pluie. Tout s’arrêta.
Lysandre s’aventura jusqu’à la lisière du Jardin d’Écume, là où peu osaient aller : la Vallée du Non-Dit. Il y trouva une fleur étrange, close comme un poing, faite d’ombres et de larmes séchées. Il comprit que Clara avait enfoui quelque chose, très profond. Un chagrin ancien. Une douleur qu’elle n’osait pas nommer.
Alors Lysandre, doucement, s’agenouilla. Il chanta une berceuse oubliée, celle que chantaient les âmes avant la naissance. Peu à peu, la fleur s’ouvrit. Et du cœur de ses pétales monta une lumière chaude, un souvenir d’enfance : un rire, un visage, une main serrée trop fort.
Dans le monde d’en haut, Clara, sans savoir pourquoi, s’arrêta. Une larme coula, sans tristesse. Juste une goutte de reconnaissance pour quelque chose qu’elle croyait perdu. Elle sentit une légèreté nouvelle, comme si une porte s’était entrouverte en elle.
Et dans le Jardin d’Écume, Lysandre sourit.
Depuis ce jour, le cœur de Clara battit plus librement. Elle apprit à écouter les murmures, à ressentir le vent des pensées, à cultiver son propre silence. Sans jamais le voir, elle sentait parfois la présence de Lysandre — une chaleur douce, une paix soudaine, une intuition tranquille.
Car la vie intérieure est un royaume, et nous en sommes tous les jardiniers.