Le Royaume des deux lunes
Il était une fois, dans un royaume lointain, un pays où le ciel avait deux lunes : une grande et éclatante, qui éclairait les nuits comme un phare dans l'obscurité, et une plus petite, douce et discrète, qui veillait silencieusement sur les étoiles.
Dans ce royaume, un vieux roi régnait avec sagesse, mais son peuple souffrait d’un grand déséquilibre : seuls les hommes avaient droit à la parole dans le conseil royal, tandis que les femmes, bien que présentes partout dans le royaume, n’étaient jamais écoutées. On les disait "douces comme la petite lune", utiles pour éclairer l’ombre, mais jamais assez brillantes pour guider le pays.
Un jour, une terrible sécheresse s’abattit sur le royaume. Les rivières s’asséchèrent, les champs moururent, et la famine menaçait. Le roi convoqua ses conseillers, tous des hommes puissants et savants, mais aucun ne trouva de solution. Certains proposèrent d’aller en guerre pour voler les ressources des royaumes voisins, d’autres suggérèrent d’abandonner les plus faibles pour sauver les forts.
Cachée derrière une colonne du palais, la jeune princesse Aléa, fille du roi, écoutait en silence. Depuis toujours, elle rêvait de pouvoir parler et proposer des solutions, mais elle savait que personne ne l’écouterait. Pourtant, elle ne put se taire davantage. D’un pas décidé, elle entra dans la salle du trône.
— Père, dit-elle, puis-je parler ?
Un murmure parcourut la salle. Une femme ? Oser donner son avis ? Mais le roi, intrigué par le courage de sa fille, hocha la tête.
— Depuis des siècles, nous regardons la grande lune pour nous guider, dit Aléa. Mais la petite lune éclaire aussi nos pas, même si nous ne la regardons pas.
Le roi fronça les sourcils.
— Que veux-tu dire, ma fille ?
— Vous cherchez des solutions dans la force et la conquête, mais avez-vous écouté celles qui nourrissent le royaume chaque jour ? Les femmes du marché, les guérisseuses, les paysannes ?
Curieux, le roi accepta la proposition d’Aléa. Pour la première fois, il convoqua les femmes du royaume. Elles parlèrent de leurs savoirs oubliés, de techniques d’irrigation ancestrales, de graines résistantes à la sécheresse, de plantes capables de purifier l’eau.
Grâce à elles, le royaume retrouva la prospérité. Le roi comprit alors que la grande lune ne brillait jamais seule : sans la petite lune, la nuit était incomplète.
Dès ce jour, les femmes eurent une place dans le conseil royal, et le royaume vécut en paix et en équilibre.
Et l’on dit que, depuis ce temps-là, chaque nuit où l’on regarde le ciel, les deux lunes brillent ensemble, rappelant au monde que la sagesse et la force résident dans l’union des voix, et non dans leur silence.